L’indépendance numérique

L’indépendance financière est pour plusieurs un moyen de se découpler du système économique et de préserver sa liberté de choix tandis que les autres perpétuent la rat race. Je vous présente dans un cet article quelques thèmes en lien avec notre dépendance collective aux technologies de l’information et des pistes pour s’en libérer (partiellement).

J’ai investi de nombreuses heures durant plusieurs années pour acquérir ces connaissances en informatique. J’économise un peu d’argent, mais surtout je préserve ma liberté de choix et je ne dépends pas des experts et des corporations pour exister dans l’univers numérique. C’est le même principe que le propriétaire d’immeuble qui apprend à tirer ses joints ou réparer des tuyaux de cuivre pour être plus indépendant. Enfin peut-être qu’un jour je pourrai tirer des revenus de ces compétences parallèles à mon métier.

Combattre l’obsolescence programmée

Mon ordinateur portable a fêté ses 10 ans avant de finalement briser. Acheté usagé il y a 5 ans, sa batterie était finie et son ventilateur sifflait. Finalement quand le clavier a sauté j’ai dû le remplacer. Contrairement à la plupart des gens, je n’ai pas eu besoin d’acheter un ordinateur dernier cri pour faire les mêmes tâches qu’on faisait il y a 20 ans: naviguer la toile, éditer des documents, converser avec des gens, regarder des photos, écouter de la musique, etc. Je peux littéralement prendre le premier ordinateur fonctionnel trouvé dans une boutique d’ordinateurs recyclés. Pas besoin de payer 1500 $ pour un ordinateur neuf!

pc usager

J’utilise des logiciels libres et minimalistes qui sont optimisés pour les bombes du passé. Après tout on est bien allé sur la lune avec un processeur 16 bits, 2 K de RAM et une horloge à 1.024 MHz (1, pas 1024) !

On nous a rendu dépendants à leurs produits

Né en 1986 je suis de la dernière génération à avoir eu une enfance déconnectée. J’ai connu l’internet pré-google avant que les GAFA ne s’emparent des infrastructures du net. J’allais à la bibliothèque emprunter un poste internet pour voir des photos sur le site HTML de la NASA. Au tournant des années 2000, les compagnies (et les gouvernements) ont commercialisé le web et nos données.

J’ai monté mes premiers ordinateurs avec des cartes mères et des cartes PCI / ESA usagées. Il y a 25 ans il y avait des dizaines de fabricants de clones PC ou MAC entre qui choisir. Avant de pouvoir installer un système d’exploitation on devait configurer dans le BIOS le nombre de cylindres/têtes/secteurs du disque dur après avoir vérifié si les jumpers étaient bien mis à Master ou Slave. Il fallait ensuite créer des partitions et les formater en FAT32 pour installer Windows avec un disque floppy d’amorçage préparé à l’avance. On installait ensuite le CD AOL pour se connecter à internet et enfin configurer les courriels avec les adresses POP3/SMTP de notre fournisseur. C’était un projet d’une journée.

486

Aujourd’hui tout se fait automatiquement comme par magie. On nous a simplifié la tâche à un point tel qu’on peut tout faire avec une seule main sur notre téléphone intelligent. Mais en nous cachant les rouages de l’ordinateur, on nous a asservit à leur technologie et rendu insensibles à leur contrôle sur nos vies. Je vous recommande deux livres sur le sujet:

Permanent record de Edward Snowden
Digital minimalism de Cal Newport

Comment je fais concrètement ?

Voici avec quelques exemples comment je me libère des géants du numérique. La plupart de ces outils ont en commun de consommer autant de puissance de CPU qu’en 1995. Je n’ai jamais compris pourquoi il faut maintenant 400 meg de RAM et 4 processus pour éditer un fichier ASCII. Où est le progrès, mis à part consommer plus d’énergie ?

Je ne suis ni Mac ni PC

Tant que la machine a un écran, un clavier et une souris je suis comblé. Tôt dans mon adolescence (ok j’étais ultra-geek) j’ai compris la séparation entre le matériel et le logiciel. Le premier est une plateforme de calcul avec des entrées/sorties, le second un ensemble de programmes servant à accomplir une tâche. Avec un peu de savoir-faire et de créativité, on peut accomplir tout ce qu’on veut avec n’importe quel ordinateur. Par exemple j’ai déjà hébergé un serveur web sur une console de jeu Dreamcast qui roulait NetBSD comme OS.

OpenBSD

Je roule OpenBSD comme système d’exploitation. C’est un des systèmes les plus sécuritaires et minimalistes qui existent. Ses racines remontent des années avant linux. Tout se configure au moyen de fichiers texte et la documentation est extrêmement claire. Si vous voulez une interface élégante et facile, ce n’est pas pour vous: il y a des distributions linux pour vous. Il suffit de taper pkginfo pour trouver un programme et pkgadd pour l’installer. Plusieurs personnes dont Derek Sivers ont déjà écrit sur le sujet.

Là pas le choix d’un logiciel graphique. J’utilise Firefox qui consomme moins de mémoire que Chrome. Je bloque toutes les publicités et robots du web pour accélérer le chargement des pages.

Courriels

Le client de courriel Mutt existe depuis 1995 et est encore utilisé. Tout se passe dans le terminal avec les fonctionnalités qu’on s’attend (liste de contacts, chaînes de courriels, ouverture de pièces jointes, etc). Mes courriels sont téléchargés sur mon ordinateur plutôt que de rester sur le nuage (gmail, hotmail, etc). Ainsi si je perds accès à internet j’ai toujours accès à mes anciens messages.

mutt

Musique

cmus me permet de gérer mes fichiers musicaux ainsi que mes listes de lecture. Bref un iTunes ou Winamp version texte et 20 fois plus rapide.

cmus

Traitement de texte

J’écris mon journal et mes notes dans des fichiers textes. Les autres formats prennent trop d’espace, évoluent sans cesse et ne seront pas supportés par les logiciels du futur. Pour corriger mes textes, il existe l’auto-correcteur aspell. Pour les fichiers excel j’utilise LibreOffice.

Visionner des images

Je gère mes photos avec des dossiers par année et événements. J’utilise des outils minimalistes comme sxiv, feh, gthumb. J’édite mes images avec gimp.

Scripts

J’ai automatisé plusieurs tâches au moyen de scripts: importer les photos de ma caméra, les renommer avec la date, les redimensionner, faire un backup de mes données, publier mon autre site personnel, etc. Tout se fait donc sans interface graphique et j’appelle mes scripts avec des raccourcis clavier.

Voici une capture d’écran pendant que j’édite un texte. ecran obsd

Téléphonie

J’héberge mon propre serveur VOIP et je ne suis pas lié à une compagnie de téléphonie pour avoir une ligne résidentielle. Je n’ai pas de cellulaire personnel car j’utilise celui que mon employeur me fournit. Nous payons donc 60 $ par mois pour l’internet et le téléphone.

Survivalisme numérique

Je pourrais être perçu comme un dinosaure de l’informatique ou un pur masochiste, mais je préfère me voir comme un résistant du numérique qui sera prêt à remonter les serveurs lorsque Skynet prendra le contrôle du Web (une référence à Terminator ici).

terminator

Savez vous que l’horloge de votre ordinateur est mise à jour grâce au protocole NTP via des serveurs gouvernementaux ? Que lorsque vous tapez l’adresse d’un site, une requête est envoyés sur des serveurs DNS et enregistrée sur par le SCRS et la NSA ? Que depuis Windows 10 la plupart de vos actions sont envoyées à Microsoft «pour améliorer le produit» ? Ou que la plupart de vos courriels sont envoyés sans encryption et peuvent être interceptés par un tiers ? La majorité des gens ignorent ces informations.

L’internet n’est pas que virtuel. Il ne pourrait pas exister sans des millions de kilomètres de câbles et des hectares de serveurs consommant 20% de l’énergie mondiale. Cette infrastructure colossale est maintenue grâce à quelques superpuissances et multinationales.

network atlas

Network Atlas

Un conflit mondial, un coup d’état ou une catastrophe climatique majeure pourrait déstabiliser durablement l’internet. Il suffit de voir comment la Chine censure son internet ou comment la Turquie a coupé l’internet de ses citoyens lors du récent coup d’état militaire avorté. L’internet du futur risque de se balkaniser selon de nombreux analystes et on nomme ce scénario le «Splinternet» (source, source). En cas de crise globalisée les citoyens devront possiblement se créer des réseaux décentralisés, partiellement autonomes, comme au tout début de l’internet. Je suis déjà prêt à ça: je roule mes serveurs web, courriel, DNS, etc.

great divide

On ne sait pas de quoi le futur sera fait et il ne faut pas prendre pour acquis la panoplie de services offerts gratuitement par les géants du numérique. Google a déjà mis fin à des services et cela peut se répéter. Posez-vous la question: Êtes-vous prêts à ce que Google ou Apple mette fin à ses services demain matin? Perdriez-vous des photos ou des documents irremplaçables? Moi je garde mes photos sur un serveur avec des disques durs en RAID.

Quelle pilule choisir ?

Je me complique certainement la vie en voulant apprendre tout ça alors que ce n’est pas mon métier. J’ai choisi de prendre la pilule rouge et d’y voir clair tandis que la majorité a choisi de prendre la pilule bleue.

morpheus




Par Philippe St-Jacques