Ta mort à moi de David Goudreault

Le livre trace le parcours d’une poète fictive au talent unique à toute sa génération. On la dit la nouvelle Nelligan: née d’un père indien et d’une mère latino, Marie-Maude Pranesh-Lopez capture dans son oeuvre tout le génie et le drame de la destinée québécoise. Adulée mondialement, on la compare à Miron. Le livre raconte la fatalité de l’existence, la prédestinée de nos comportements adultes dès l’enfance, l’injustice des rapports sociaux.

Dès les premiers chapitres je me suis senti immergé dans un univers connu. J’ai réalisé que je me trouvais dans un univers parallèle à Herbert au pays de Kunderwald. Les péripéties rocambolesques de l’autrice et l’ennui Tourgeniev-esque du quotidien que vivent les personnages de la famille de Marie-Claude Pranesh-Lopez sont d’un romantisme exacerbé mais réaliste. Comme dans Noir destin que le mien.

Mes impressions furent confirmées lorsque l’auteur fait un clin d’oeil surprenant à Jean Leloup lorsqu’il parle de la laideur chronique décrite dans l’oeuvre de Jean Leclerc.

  • Deuil pathologique de sa mère suite à la mort de son fils Victor-Hugo et lien avec le DSM
  • Déconnexion entre les parents et les enfants malgré les bonnes intentions des premiers
  • Manif indépendantiste dans le Vieux-Québec début années 2000, rêveurs qui scandent en vain.

histrionique

p. 84. Peut-on séparer l’oeuvre de l’artiste?

p. 71. Sur la fiction:

On n’écrit jamais que sur soi-même, paraît-il. Je me demande ce qu’Asimov ou Tolkien en penseraient. Que du mal, j’espère. L’époque promeut tellement de narcissisme que nos écrivains égocentrés s’aventurent à peine hors du récit pour se réfugier dans l’autofiction. Même les lecteurs tiennent désormais pour acquis que l’auteur est nécessairement partout dans son oeuvre, comme Dieu dans celle de Flaubert. Combien de fois devrai-je expliquer que mes premiers romans n’ont rien à voir avec ma mère? Tous les créateurs devraient avoir droit au refuge de la fiction.

p. 74. La gravité des petits drames de l’enfance.

Une balle dans le poitrail de la colombe en vol; un éclair qui fend le jeune hêtre; un feu de forêt vierge; les mots dans la bouche de Désirée. Marie-Maude a léché sa boule double fudge, le temps d’encaisser le coup et formuler sa question.
- C’est loin, Montréal?
À cette exacte minute, le germe de toutes ses fugues et de toutes ses fuites à venir prenait racine.

p. 100. Miron

Et si les deux pouvaient coexister, si Miron représentait effectivement toute la force poétique de son époque et Pranesh-Lopez la puissance du millénaire naissant? […] Il fallait bien une jeune femme, fille d’immigrants de surcroît, pour concentrer toute la richesse, la diversité et la complexité de l’âme québécoise moderne en un seul livre.

p. 187. Sur le poète:

Le poète ne peut plaider la prolixité, l’incontinence verbale, l’errance ni ne peut supputer que son lecteur n’aura pu cueillir le fruit de ses introspections sous prétexte qu’il se serait empêtré dans le branchage. Le poème n’a que l’ambiguïté pour couvrir son dénuement.

p. 245. Sur le printemps érable.

Des souvenirs, c’est à peu près tout ce que donnèrent ces semaines de mobilisation citoyenne. Pas de quoi remplir un fond de canisse de changement social avec de la sève claire du fameux printemps érable. Au Québec, même les révolutions sont dociles, très tranquilles.

p. 262. Sur le voyage.

Elle y était sans y être. Les voyages ne la remplissaient pas. Déjà surchargée à l’arrivée, son trop-plein de vide laissait peu de place à d’autres choses, si exotiques fussent-elles. Avec le temps, l’aventure finit par l’ennuyer, comme tout et elle-même. L’ailleurs se ressemble partout, quand on a fait le tour. C’est le même corps, la même tête et les mêmes démons que l’on traîne d’un paysage à l’autre. Le voyage est un piège à con; quand on ne l’est pas, on finit par en revenir.

p. 305. Encelade, lune de Saturne.

P.-S. Je suis Encelade, petite lune glacée et distante, personne ne sait s’il y a de la vie sous ma surface. Moi-même, je ne le sais plus.

p. 317. Sur la circularité.

Les dernières feuilles de l’ultime saison de chaque arbre existent déjà dans leurs semences, avant même qu’ils ne prennent racine. Quelque chose nous précède et nous achève en même temps; nous sommes des êtres finis et définitifs. Enfants déjà, nous portons notre fatalité, nos finalités. Vivre est un sursis.




Par Philippe St-Jacques