Dans les forêts de Sibérie de Sylvain Tesson

Un homme met sa vie monotone d’occidental en pause pour s’isoler 6 mois dans une cabane en Sibérie au bord du lac Baïkal avec aucun voisin à 25 km à la ronde. Il nous relate son expérience d’ermitage et d’autarcie en pleine nature. Son journal est ponctué de réflexions sur la société et la psyché Russe qu’il côtoie sporadiquement. Ce livre est une ode à la beauté du monde sauvage et à la nordicité.

Les rebelles et les révolutionnaires s’appuie sur le système qu’ils contestent car ils se posent en porte-à-faux de l’idéologie qu’ils dénoncent. Sans elle ils n’ont plus raison d’être. L’ermite se retire de la société et devient observateur passif, sans prendre parti en minimisant ses interactions avec la société qu’il déserte.

Voici quelques extraits que j’ai particulièrement appréciés.

“Le froid a lâché ses cheveux dans le vent”

Liste de lectures page 32.

Ma première soirée en solitaire. Au début, je n’ose pas trop bouger. Je suis anesthésié par la perspective des jours. À 10 heures du soir, des explosions trouent le silence. L’air s’est réchauffé, le ciel est à la neige, il ne fait que -12 degrés. L’artillerie russe pilonnerait le lac, la cabane n’en vibrerait pas plus. Je sors dans le redoux écouter les coups de boutoir. Les courants font jouer la banquise.

Dans le 6e volume de L’Homme et la Terre le géographe Élisée Reclus -maître anarchiste et styliste désuet- déroule une superbe idée. L’avenir de l’humanité résiderait dans l’union plénière du civilisé avec le sauvage. Il ne serait pas nécessaire de choisir entre notre faim de progrès techniques et notre soif d’espaces vierges. La vie dans les bois offre un terrain rêvé pour cette réconciliation entre l’archaïque et le futuriste. Sous les futaies, se déploie une existence éternelle, au plus près de l’humus. On y renoue avec la vérité des clairs de lune, on se soumet à la doctrine des forêts sans renoncer aux bienfaits de la modernité.

L’essentiel est de mener sa vie à coups de gouvernail. De passer la ligne de crête entre des mondes contrastés. De balancer entre le plaisir et le danger, le froid de l’hiver et la chaleur du poêle. Ne pas s’installer, toujours osciller de l’une à l’autre extrémité du spectre des sensations.

Un jour, on est las de parler de décroissance et d’amour de la nature. L’envie nous prend d’aligner nos actes et nos idées. Il est temps de quitter la ville et de tirer sur les discours le rideau des forêts.

Sur les néo-forestiers

(p. 101) On pourrait imaginer dans nos sociétés occidentales urbaines, comme à Pokoïniki ou à Zavarotnoe, des petits groupes de gens désireux de fuir la marche du siècle. Lassés de ces villes surpeuplées dont la gouvernance implique une promulgation toujours plus abondante de règlements, haïssant l’hydre administrative, excédés par l’impatronisation des nouvelles technologies dans tous les champs de la vie quotidienne, pressentant les chaos sociaux et ethniques liés à l’accroissement des mégapoles, ils décideraient de quitter les zones urbaines pour regagner les bois. Ils recréeraient des villages dans des clairières, ouvertes au milieu des nefs. Ils s’inventeraient une nouvelle vie. Ce mouvement s’apparenterait aux expériences hippies mais se nourrirait de motifs différents. Les hippies fuyaient un ordre qui les oppressait. Les néo-forestiers fuiront un désordre qui les démoralise. Les bois, eux, sont prêts à accueillir les hommes; ils ont l’habitude des éternels retours.

Vibrant appel à la vision de Yvan Perreault, nucériculteur, d’une forêt nourricière dans laquelle les hommes vivront en harmonie avec les cycles des saisons et se nourriront des de la forêt boréale. https://www.youtube.com/watch?v=jbC4EQTZJGI

La photo

Le soir, le soleil perce, la neige prend teinte d’acier. Les aplats blancs brillent avec l’éclat du mercure. J’essaie de prendre une photo de ce phénomène mais l’image ne rend rien du rayonnement. Vanité de la photo. L’écran réduit le réel à sa valeur euclidienne. Il tue la substance des choses, en compresse la chair. La réalité s’écrase contre les écrans. Un monde obsédé par l’image se prive de goûter aux mystérieuses émanations de la vie. Aucun objectif photographique ne captera les réminiscences qu’un paysage déploie en nos coeurs. Et ce qu’un visage nous envoie d’ions négatifs ou d’invites impalpables, quel appareil le pourrait saisir ? (p. 112)

Résister en ville

La retraite est révolte. Gagner sa cabane, c’est disparaître des écrans de contrôle. L’ermite s’efface. Il n’envoie plus de traces numériques, plus de signaux téléphoniques, plus d’impulsions bancaires. Il se défait de toute identité. Il pratique un hacking à l’envers, sort du grand jeu. Nul besoin d’ailleurs de gagner la forêt. L’ascétisme révolutionnaire se pratique en milieu urbain. La société de consommation offre le choix de s’y conformer. Il suffit d’un peu de discipline. Dans l’abondance, libre aux uns de vivre en poussah mais libre aux autres de jouer les moines et de se tenir amaigris dans le murmure des livres. Ceux-ci recourent alors aux forêts intérieures sans quitter leur appartement.

Ma note: 8/10




Par Philippe St-Jacques