Digital Minimalism de Cal Newport

Choosing a Focused Life in a Noisy World

Les multinationales de Sillicon Valley ont bâti un empire sur l’économie de l’attention numérique. Google vaut plus de 500 G$ en bourse alors que Exon Mobile en vaut 370 G$. Extraire des minutes d’yeux sur un écran vaut donc plus qu’extraire du pétrole. L’auteur explique avec une multitude d’exemples et d’études comment la société a drastiquement changé dans les années qui ont suivi la démocratisation de masse des téléphones intelligents, principaux vecteurs des applications de réseaux sociaux. Il soulève d’inquiétants impacts négatifs sur nos collectivités, nos relations personnelles et notre productivité autant sur le plan professionnel ou personnel. On observe une hausse inédite des cas d’anxiété chez la génération née après 1995.

La solitude et l’ennui sont des réalités auxquelles les générations passées savaient faire face et acceptaient comme un élément naturel de la vie. De nombreuses études psychologiques, sociologiques et anthropologues appuient les bienfaits de cette solitude. Ces moments d’errance de notre esprit permettent à nos cerveaux de se restructurer, de faire un tout avec les idées disparates cumulées dans la journée. Les moments de solitudes permettent aussi de considérer à leur juste valeurs les relations humaines que nous entretenons. Alors que l’humain moderne est toujours connecté à quelques clics de toute sa liste d’amis, il devient difficile de donner du temps de qualité aux relations les plus importantes pour nous.

Henry David Thoreau

Henry David Thoreau évoque son expérience de solitude forcée dans les années 1840 dans Walden. Il a passé quelques mois dans une cabine reculée pour contempler la nature et réfléchir sur la relation entre le temps, le travail et l’argent. Il soulève une question frappante d’actualité. Le code Morse était inventé en 1844 et peu après les lignes de télégraphe se déployaient aux États-Unis. Il se demande : Est-ce que le Texas et le Maine ont tant de choses à se dire, au point d’être toujours connectés ? Thoreau est fréquemment cité par les Minimalistes comme un précurseur de la pensée minimaliste de l’ère moderne. Je vais définitivement aller aux sources et lire ses essais. À l’aube de l’industrialisation, Thoreau réalisait déjà que moins peut en fait être plus lorsqu’on prend le temps de bien évaluer le coût réel de nos choix. Déjà en 1845, il nous avertissait contre les dérives du consumérisme.

The cost of a thing is the amount of what I will call life which is required to be exchanged for it, immediately or in the long run.

On ne peut plus être seul dans sa tête

Le iPod a réussi à briser ce silence lors de nos déplacements, car il était désormais possible d’avoir toujours ses écouteurs dans les oreilles et ignorer ce qui se passe autour de nous. L’arrivée du iPhone et des applications mobiles a semé le glas de ces moments de solitude, au point de se demander si la solitude n’est pas en voie de disparition tout simplement.

Un utilisateur moyen de Facebook passe 35 minutes en moyenne par jour sur la plate-forme. Si on inclut les autres réseaux sociaux comme Whatsapp (appartenant à Facebook), ce chiffre grimpe à 50 minutes par jour.

Nous pouvons choisir l’essentiel

Le minimalisme numérique implique que nous pouvons choisir quelles technologies nous laissons entrer dans nos vies. Le minimaliste numérique, tout comme le minimaliste tout court, ne se contente pas de l’approche any benefit. Il n’est pas suffisant que la technologie apporte un petit bénéfice dans sa vie pour l’adopter aveuglément (ce que les grands du Sillicon Valley souhaitent). Au contraire, il faut que les bénéfices dépassent largement les inconvénients de cette technologie.

L’auteur fait un surprenant parallèle avec les communautés Amish qui choisissent très rigoureusement les technologies qui peuvent entrer leur communauté. Une sorte de tribunal composé des sages est responsable d’évaluer pendant 30 jours une technologie avant de déterminer si elle sera admise ou bannie. Les bénéfices doivent être supérieurs aux inconvénients. Ils refusent par exemple l’utilisation de voiture à moteur car cela éloigne les gens de la communauté et brise les liens entre habitants et les membres de la famille. Les gens qui possèdent une voiture vont visiter des attractions touristiques plutôt que d’aller voir leurs proches ou les malades la fin de semaine.

Leur pari est que l’intention triomphe sur l’aspect pratique.

On doit voir les technologies comme des outils et constamment rechercher les façons de les utiliser qui maximiseront les avantages sans engendrer d’effets négatifs. Il ne faut pas accepter Facebook comme une fatalité car de temps en temps on reçoit des nouvelles de nos anciens amis du secondaire.

Le minimaliste numérique doit combattre le FOMO pour tirer le maximum de son utilisation des outils numériques.

Conseils pratiques pour le minimalisme numérique

Le défi du désencombrement numérique

Pendant 30 jours cesser tout usage d’applications mobiles ou de site internet non-essentiel. Cela a pour but de se déprogrammer (en partie) des conditionnements que l’industrie du web nous a inculqués. Une fois le défi 30 jours complété, on sera d’attaque pour passer aux prochaines étapes. On pourra alors réintroduire les technologies une à la fois, et seulement si :

  1. Elle sert une de nos valeurs profondes;
  2. C’est la meilleure technologie pour servie cette valeur. Sinon, la remplacer par une meilleure;
  3. Établir une règle définissant quand et comment on se servira de cette technologie (par exemple hors de la chambre à coucher, le soir 17 h à 19 h).

Passer du temps seul

Réellement seul. Il est essentiel de planifier du temps pour être seul avec ses pensées.

Lead Yourself First de Raymond Kethledge et Michael Erwin. Livre sur les bénéfices d’être avec soi-même pour établir une balance qui n’arrive qu’après mûres réflexions. Ils définissent la solitude comme un état dans lequel notre esprit est libre de toute stimulation d’autres esprits. On peut donc être seul dans un café bondé.

  1. Laisser son téléphone à la maison et partir pour une marche, ou fermer son téléphone délibérément pour une partie de la journée.
  2. Prendre de longues marches.
  3. Écrire des lettres à soi-même, tenir un journal de bord pour recueillir ses idées. Cela peut servir lors de périodes difficiles ou pour coucher sur papier un moment d’inspiration. Réfléchir en écrivant une lettre à soi-même est le meilleur moyen de s’isoler des stimuli des autres esprits.

Ne pas cliquer like

L’auteur démontre que le cerveau est une machine complexe qui a évolué durant des millions d’année pour interpréter des signaux élaborés multicanaux, capable d’interpréter les sous-entendus, le non-verbal et toutes les nuances d’une conversation en face-à-face. Réduire une conversation uniquement à une ligne de SMS ou un like est une insulte à notre intelligence.

On devrait appeler tous les échanges sur les réseaux sociaux ou par texto des connections et réserver le mot conversation aux échanges en personne ou du moins de vive voix par téléphone.

On trompe notre cerveau en lui faisant croire que les échanges par messagerie peuvent remplacer la richesse des échanges réels.

Une personne ne peut suivre plus de 150 personnes dans sa vie (nombre de Dunbar).

  1. Cesser de cliquer like. Ne plus alimenter les profils fantômes de Facebook et les algorithmes qui construisent une image virtuelle de nous-mêmes.
  2. Consolider les messages textes. Se mettre en mode ne pas déranger durant quelques heures puis gérer ses textos en bloc quelques fois par jour. Ainsi on ne manque pas les informations pertinentes en évitant de se perdre dans des échanges futiles.
  3. Tenir des heures d’ouverture de conversations. Instaurer une période (par ex de 17 h à 19 h) durant laquelle on peut avoir des conversations téléphoniques et communiquer cette préférence à nos proches. Cette règle a pour effet d’éliminer la peur de déranger des autres et notre surprise quand le téléphone sonne.

Planifier des loisirs

Planifier des loisirs concrets, créatifs et exigeants pour le cerveau. Ce loisir doit être de préférence déconnecté car nous passons déjà trop de temps devant nos écrans. Éviter toute activité passive comme regarder des séries NetFlix. Créer quelque chose de nouveau chaque semaine, que ce soit un meuble, un dessin, un texte. Le cerveau a une capacité infinie de travail. Il fonctionne 24/7 alors que notre corps a besoin de repos. Un cerveau qui est soumis à de longues activités passives est au contraire épuisé, tandis que s’il est constamment stimulé, il deviendra plus efficace et créatif.

  1. Privilégier les activités demandantes plutôt que la consommation passive.
  2. Utiliser ses talents pour produire quelque chose qui a de la valeur dans le monde physique.
  3. Rechercher des activités qui demandent des interactions structurées dans le monde réel. Cela peut être un cours de TRX, une société d’horticulture ou une chorale. Ce qui compte est de tisser des liens élaborés avec une communauté.

Privilégier les activités qui permettent la contemplation, de la nature, de l’art, de la technologie, etc. Aristote a écrit dans ses Éthiques à Nicomaque que la vie la plus plaisante est celle de l’intellect. Une vie remplie de pensées profondes est heureuse parce que la contemplation est une activité qui est appréciée pour elle-même: rien n’est gagné d’elle hormis l’acte de la contemplation.

The Revenge of Analog de David Sax.

  1. Réparer ou fabriquer quelque chose chaque semaine (penser homme de la renaissance)
  2. Planifier ses moments de loisirs de basse qualité (binge watching)
  3. Joindre un club
  4. Établir des plans de loisirs par saisons. Définir des Objectifs concrets et des stratégies pour les atteindre et les écrire dans son journal (par exemple écrire un premier essai de science-fiction, construire ses propres armoires de cuisine, assembler son vélo d’hiver au complet). Par la suite définir des habitudes à établir ou à renforcer qui vont nous mener à réaliser nos objectifs (par ex. Lire quelque chose tous les soirs, limiter la télévision le soir, assister à un évènement culturel par mois).
  5. Planifier ses loisirs à la semaine. Réserver des blocs de temps de loisirs structurés (rempoter mes bonsaï, ligaturer un thuya, fabriquer un gabarit pour un assemblage) dans son agenda, de la même façon qu’on réserve des blocs pour le travail ou la famille. Seulement ainsi pourra-t-on progresser dans nos projets personnels et grandir dans ces loisirs.

Joindre la résistance de l’attention

Nous ne sommes pas faibles si nous tombons dans le piège tendu par Facebook, Twitter, Instagram et les sites de nouvelles. Nous sommes victimes d’un piège savamment tendu, conçu par une armée d’ingénieurs informatiques et de sociologues sans scrupule. Les compagnies du web font leurs profits en vendant notre temps de cerveau disponible aux compagnies publicitaires. Nous sommes le produit et ils veulent notre attention.

Il faut donc mettre en place des mécanismes pour contrer ces pièges et réduire notre temps d’exposition à ces médias qui offre une interaction de faible intensité.

L’application Moment permet de mesurer le temps passé à regarder son écran de téléphone. L’application Freedom permet de limiter le temps de connection internet.

Les ordinateurs sont des machines puissantes de productivité. On dit souvent que limiter la connection internet à un ordinateur réduirait sa fonctionnalité mais c’est faux. Prétendre pouvoir faire du multitâche et travailler tout en naviguant des sites de nouvelles est improductif, comme démontré dans Deep work.

The Attention Merchants de Tim Wu.

  1. Supprimer les applications de média sociaux de nos téléphones et se connecter de son ordinateur.
  2. Transformer ses appareils en ordinateurs à fonction unique: déconnecter l’internet.
  3. Utiliser les médias sociaux comme un professionnel, comme le directeur des relations publiques de soi-même (idéalement simplement supprimer ses profils Facebook, Twitter et autres).
  4. Consulter les slow medias. Lire le manifeste Das Slow Media Manifest.
  5. Changer son téléphone intelligent pour un téléphone de base (par ex. Nokia 130 ou Doro PhoneEasy).

Lire plus sur le mouvement du attention resistance. Your Time = Their Money !

Revenons à la question de Henry David Thoreau qui réagissait au boom du télégraphe suite à l’invention du Morse en 1844. En premier il y eu Facebook, ensuite le iPhone, puis la communication impulsive supportée par de la fibre optique qui a balayé nos cultures avant que personne n’ait la présence d’esprit de prendre un pas de recul et poser à nouveau la question fondamental de Thoreau: To what end?

Le minimalisme numérique est une approche pragmatique pour contrer les dérives technologiques de la communication moderne, comme le minimalisme est une réponse au consumérisme débridé. Servons-nous de nos outils pour devenir de meilleurs humains.

Ma note: 10/10 !




Par Philippe St-Jacques