Le Saint-Élias de Jacques Ferron
On ne saurait finir dans le passé car le temps n’a qu’un mouvement; il vient du passé, passe par le présent et va vers l’avenir. On ne remonte pas à l’ancien, on en repart.
C’est ce que fait Ferron dans le Saint-Élias. Nullement nostalgique d’un Québec révolu, agraire et papiste, il nous fait rêver à une autre histoire possible, d’aucuns diront une histoire manquée, en imaginant une paroisse qui érigeât un immense voilier trois-mâts pour explorer et commercer avec le monde entier. Défiant les autorités romaines et anglaises le village de Batiscan et le compté de Maskinongé deviennent en quelque sorte une royaume libre de penser et de voyager, avec ses rois et ses émissaires.
Nous avons construit ce trois-mâts pour briser l’écrou de notre pays. Il était bon de rester enfermés aussi longtemps que nous n’étions pas un peuple. Mais ce peuple, nous le sommes enfin devenus: que soit brisé l’écrou du golfe! […] Qui sommes-nous, gens de Batiscan? Les égaux des Malouins, capables de découvrir l’Europe et d’y planter la croix. […] Plus rien ne nous entravera; nous serons libres, nous serons gens de toutes les mers du monde.
Empêtrés dans des intrigues de chanoines, de descendants de métis, d’irlandais et de mercenaires allemands, nous sommes en plein XIXe siècle. Bien que le récit soit fictif, les us et coutumes n’en sont pas moins véridiques et on sera impressionné par l’exactitude de la recherche sociologique réalisée par l’auteur, notes et références en appui.
Je le recommande chaudement pour qui veut découvrir l’univers de Ferron ou veut s’évader de nos verrous.
Par Philippe St-Jacques