Kukum de Michel Jean

Pekuakami. C’est ainsi qu’on nomme le Lac-Saint-Jean en Innu-aimun. On m’a emporté au pays des Innus avant que les colons et le progrès n’efface la forêt primaire. Quand Almanda voit stupéfiée les coupes à blanc elle se demande mais où sont passés tous les animaux.

C’est avant tout une histoire d’amour. L’arrière-grand-mère de l’auteur, une orpheline tombée amoureuse de Thomas, un Innu encore nomade, embrasse le Nitassinan et son peuple qui a mieux à lui offrir que ses parents adoptifs agriculteurs vivant sur une terre de roche pauvre et arrachée à la forêt. Son amour pur durera jusqu’à la mort.

Ce roman parle de la transmission, plus importante que la richesse matérielle. Ce qu’un Innu a de plus important il doit pouvoir l’emporter avec lui.

Ce roman parle de l’amour de la terre, de celle que l’on choisi d’adopter. Almanda à 15 ans quitte la ferme de colon de Saint-Prime et a épousé Thomas et le peuple Innu. Malek, le patriarche a adopté Pekuakami alors qu’il a fui la Côte-Nord. Tous deux se comprennent et s’entraident. On suit Almanda qui peu à peu apprend le portage, le tannage, la trappe, la sagesse du silence. Apprendre par le silence, par observation. La modestie.

Le voyage de Malek à travers le nord du Nitassinan, jusqu’à la limite des arbres au pays des caribous et des Cree puis à travers les monts Otish est poignant de vérité et d’intensité.

J’ai trouvé la description de la vie dans la nature plus grande que nature, le récit du nomadisme trop beau pour être vrai. Comme si l’auteur enjolivait ces souvenirs par procuration qu’il a entendu des anciens, de sa Kukum. Mais est-ce que ce récit est meilleur que celui du progrès ?

Je m’amusais à m’imaginer accompagner les rameurs remontant le Peribonka jusqu’à la fourche Manouane, puis poursuivant jusqu’au lac Peribonka et les passes dangereuses. Je voudrais camper dans leur bivouac, sentir le vent pousser sur les peaux de nos tentes. Partir au petit matin faire le tour des trappes et revenir au soir avec du gibier.

Marche sur des chemins millénaires empruntés par des générations d’ancêtres. Sans jamais détruire la nature. Une année les Siméons n’ont pu remonter la Peribonka à l’automne car les bûcherons avaient rempli le cours d’eau de billots pour la drave. Ce fut la fin du nomadisme pour bien des Innus qui utilisaient les cours d’eau comme voie de navigation vers l’intérieur des terres. Ils durent se contenter de la réserve de Pointe-Bleue. Le livre prend une tournure sociale en expliquant les causes de la déchéance chez les autochtones. On décortique comment de façon consciente et insouciante ils ont été dépossédés par les blancs: de leurs forêt de trappe, de leurs cours d’eau, de leurs langues et enfants avec les pensionnats.

Les trains partaient remplis d’arbres morts et revenaient remplis de colons.

Ce fut un discours très poignant à la fin quand la vieille Almanda réalise le fossé qui s’est créé entre elle et ses petits-enfants qui vivent dans la ville, qui ont presque honte de la visite de cette vieille indienne en robe brute. Les blancs on réussi à tuer la langue Innu-aimun mais pas l’indien dans l’indien. Il ne reste que la colère d’être dépossédé de sa mémoire.

Un roman nécessaire. Un manifeste. À la fin c’est l’auteur qui parle. Je comprends mieux pourquoi on doit se réconcilier. Je le recommande chaudement.




Par Philippe St-Jacques