Faut-il en finir avec la civilisation ? de Pierre Madelin

Les Éditions Écosociété, 2020.

Primitivisme et effondrement

Le primitivisme est un courant de pensée qui voudrait ramener l’humanité à un mode de vie paléolithique, autant sur le plan de l’organisation sociale, technique ou de la subsistance. Selon les promoteurs de cette théorie l’humanité a franchit un point de bascule lors de la révolution néolithique. La sédentarisation causée par la domestication des premières espèce de végétaux et d’animaux a forcé les humains à transformer (ou détruire) leur environnement plutôt que de l’habiter et en faire partie intégrante. La production de biens en vue de survivre aux cycles des saisons et des aléas naturels a causé l’accumulation de richesse et la création de structures sociales de pouvoir pour régir ces richesses. Ceci a mené à la création des premiers États centralisés et est à la racine du capitalisme et de la crise climatique que nous vivons selon ces penseurs. Rien de moins.

À partir du moment où il y a stockage des aliments, il y a richesse. Or qui dit richesse dit différence de richesse, différentiation sociale, et la plus simple qui puisse exister dans une société, entre riches et pauvres.

L’auteur déconstruit élément par élément cette théorie car purement théorique et inapplicable aujourd’hui. La Terre ne pourrait pas nourrir 8 milliards de chasseurs-cueilleurs. Nous bénéficions d’un rendement inouï avec l’agriculture moderne. Nous ne pourrions pas revenir en arrière. On doit au mieux cesser de détruire l’environnement et intégrer la nature de façon bienveillante. L’auteur trace un lien avec l’écocentrisme de Aldo Léopold, pensée dans laquelle il faut considérer l’écosystème comme un tout, pour protéger à la fois les espèces qui y vivent mais les biotopes dans leur entièreté, incluant l’homme.

Les primitivistes décrivent les sociétés primitives comme parfaites, une sorte d’anarchie et d’auto-gouvernance bienfaisantes alors que les données anthropologiques montrent tout le contraire. Les sociétés primitives se donnaient déjà à l’esclavage, la guerre et la réification des personnes (femmes, prisonniers, enfants) tout en étant nomades. Il n’y a pas eu de point de bascule néolithique.

On fait un grand détour sur la création des parcs et réserves naturelles à la manière américaine, où on expulse les populations historiques (souvent amérindiennes) pour créer un espace de nature vide des humains, alors que les hommes habitaient, chassaient, aménageaient ces forêts depuis des millénaires. La création des parcs naturels n’est qu’une pastiche, une façon de s’acheter la bonne conscience en préservant un petit bout de nature pendant qu’on exploite à fond les ressources à côté. Ces parcs servent au capitalisme et au tourisme mondial et on exporte ce modèle en Afrique par exemple en expulsant les populations indigènes qui ont toujours habité en relative paix avec les espèces sauvages y vivant. Ces populations évoluent très souvent vers la précarité par la suite.

Les parcs des Adirondaks, des White Mountains, de Yosemite (Shoshone, Crow et Bannock, Salish, Nez-Percés) et du Grand Canyon (Havas) ont été créé en expulsant avec divers stratagèmes les amérindiens qui y vivaient. Au Canada nous avons fait de même avec divers parcs.

Au total, 33 genres de grands mammifères (soit des animaux pesant en moyenne plus de 40 kilos) sur 45 ont disparu en Amérique du Nord, 46 sur 58 en Amérique du Sud, 15 sur 16 en Australie et 7 sur 23 en Europe.

Il est vrai que les hommes ont fait disparaître la mégafaune, une véritable hécatombe chez les grands mammifères. Mais justement cela s’est produit au paléolithique. Tous les écosystèmes sont désormais affectés irréversiblement par l’homme. La glace en Antarctique et le sommet de l’Himalaya contient des micro-plastiques. Il appartient à l’homme du XXI ème siècle de transformer la “planète-poubelle” en planète jardin.

Bernard Charbonneau dans Le jardin de Babylone: “L’Éden n’est pas une forêt vierge, l’Éden est un jardin, inlassablement reconquis par le travail du jardinier.”

édito de Philippe

Je n’aime pas le concept de planète jardin car la version ultime ou aboutie de la planète jardin correspondrait à de vastes espaces totalement aménagés par l’homme à la biodiversité dégradée au point de devoir être entretenue par l’homme. Ces mondes artificiels sont parfaitement décrits dans Le Cycle des Robots d’Isaac Asimov. Si jamais on arrive à ce stade ce serait un échec galactique pour l’humanité d’avoir perdu la nature sauvage, bien qu’on peut argumenter qu’elle est déjà perdue. Depuis le néolithique ?

À lire: Aldo Leopold - La conscience écologique, Marseille, Wildproject, 2013.




Par Philippe St-Jacques