entre l’ombre et la lumière

Tsuga

Les pruches inspirent respect et humilité.

J’ai planté une pruche (Tsuga canadensis) devant ma maison. Cet arbre a été cueilli à Namur près du chalet d’un ami et il est important pour moi. La forêt dans laquelle il poussait est mystérieuse. Un étroit ruban de forêt vierge coincé entre la Petite rivière Rouge et un cap rocheux abrite une pouponnière de pruches sous les ramures bienveillantes d’érables et de thuyas. Cette essence fut abattue massivement par les colons puis les bûcherons pour son bois durable et dense au point de faire chuter sa présence dans nos forêts. On l’utilise d’ailleurs pour fabriquer poutres, poteaux, garde-fous, quais, charpentes et traverses de chemin de fer.

Les pruches sont une espèce de fin de succession. Cela signifie qu’ils sont les derniers à s’implanter dans une forêt mature, une fois que tous les autres ont occupé chaque parcelle de la voûte solaire. Pour survivre les pruches doivent s’enraciner et croître avec les quelques photons que laisse filtrer la canopée. Tapis dans l’ombre impénétrable des feuillus, ils attendent patiemment qu’un arbre ouvre dans sa chute une brèche lumineuse. Leur croissance est lente et ils vivent jusqu’à 600 ans.

La délicatesse de leurs aiguilles suspendues au bout de frondes ployant sous le poids de quelques gouttes de pluie offre au voyageur matière à méditation.

Les pruches inspirent respect et humilité.

J’ai planté l’arbre dans un coin inhospitalier de ma maison. Cet endroit est si sombre que même les hostas n’y fleurissent pas. Adossé à la façade nord-est, entre les balcons et l’escalier de fer forgé, il ne capte que les maigres rayons disponibles sous les arbres de la rue avant 10 h le matin. Le soleil poursuit ensuite sa course jusqu’au coucher derrière l’édifice, laissant mon arbre dans l’ombre.

C’est du moins ce que je pensais avant de réaliser que le soir au moment où le soleil glisse à l’ouest derrière la voie ferrée, un alignement parfait des faîtes des édifices permet à ses rayons d’embraser une dernière fois les aiguilles du jeune arbre.

Comme la pruche, nous finissons toujours par trouver de la lumière même dans la plus profonde pénombre.




Par Philippe St-Jacques