Énergie cinétique

En réponse à un voisin sur la dangerosité de nos rues pour nos enfants:

Bonjour cher voisin frontispice. Je te vois partir le matin avec ton petit Olivier qui est désormais capable de descendre seul les escaliers et de marcher sur le trottoir.

Olivier n’est pas encore conscient qu’il se situe en territoire non-cédé appartenant aux automobiles, qu’il est en péril à tout instant car il marche au beau milieu d’un champ de tir à projectiles réels, avec des balles qui pèsent 2 000 kg et filent à 100 km/h. Pas besoin de faire le calcul mais l’énergie cinétique du projectile (Masse multipliée par la Vitesse) est supérieure à celle d’une balle 5,56 mm sortie du canon de la C7 d’un soldat canadien. Pourtant c’est normal.

Je vis comme toi dans notre beau quartier apaisé. Pourtant je vois régulièrement moult incivilités. Juste dans les derniers 24 heures, j’en ai été témoin de deux.

1- Coin Foucher et Louvain, une des nouvelles intersections munie de quatre arrêts. À deux petits coins de rue de l’école primaire Parents de l’école Christ-Roi ( CSDM). Une voiture passe dans ma face sans même ralentir alors que j’allais m’engager pour traverser Louvain. Je regrette de ne pas avoir parti à courir après pour lui expliquer.

2- Au marché central, en voiture cette fois-ci, je m’immobilise pour laisser un piéton traverser à un passage piétonnier alors que ça fait 3 voitures qui passent en contre-sens en ignorant le piéton qui attendait pour traverser. Le dit piéton m’a fait un superbe merci de la main. Mais il n’aurait pas du me remercier, cal la priorité lui revenait. On voyait très clairement les bandes blanches marquées au sol. Mais les gens étaient trop anxieux à l’idée de trouver une place pour stationner leur munition au Costco ou au Réno-Dépôt.

J’aimerais pouvoir envoyer mon petit Henri de bientôt 7 ans à l’école seul. Pour développer son autonomie, son sentiment d’appartenance à notre beau quartier apaisé. Il aurait seulement un seul petit passage piéton à traverser coin Basile-Routhier et Louvain avant d’atteindre le brigadier au coin de Lajeunesse. Mais l’histoire récente nous montre que ni le passage piéton n’est sécuritaire, ni le brigadier n’est à l’abri d’un impact mortel qui sera possiblement jugé “no-fault”.

Ce ne sont pas les panneaux arrêt qui vont sauver nos enfants, c’est une thérapie cognitivo-comportementale collective assortie de conditionnements forcés pour les récalcitrants.

En réponse à un voisin sur la dangerosité des trottoirs pour nos enfants:

Yo Facebook. J’aimerais te parler des collisions entre voitures et piétons. D’habitude, j’essaie d’être posé, mais là, je vais parler avec la rage du parent qui a peur pour son enfant.

Depuis le décès de la jeune Maria, 7 ans, en décembre, j’entends de toute part que les autorités municipales n’en font pas assez, que ça prend plus d’apaisement de la circulation.

Moi, je suis chanceux, j’habite dans un quartier apaisé: tout mon secteur résidentiel a fait l’objet d’une intervention en apaisement de la circulation récemment, notamment avec l’ajout de plusieurs dos d’ânes et d’arrêts toutes directions à certaines intersections clés.

La garderie d’Olivier se trouve à environ 400 mètres de la maison, alors, évidemment, j’y vais à pied chaque matin dans mon quartier apaisé pour y déposer ti-pou. Dans les derniers mois seulement, voici ce que j’ai pu observer:

-Les arrêts rendent presque les choses plus dangereuses puisqu’une voiture sur quatre ne s’arrête pas avant le passage piéton, et ça, bien sûr, c’est quand elle s’arrête tout court.

-Les voitures se stationnement souvent à 0,01 cm des intersections, et comme tout le monde en ville a besoin d’un esti de gros VUS pour aller faire son épicerie, bien les piétons, surtout les plus petits, les autres automobilistes qui arrivent au STOP les voient pas, faque si t’as l’habitude de pas arrêter au stop sauf si tu vois quelqu’un, bien tu le verras pas. Mais bon, l’gros VUS avait besoin d’un endroit pour se parker, pi la visibilité des piétons, c’pas son problème.

-Y’a une maison à 30 mètres de la garderie dont les occupants ont un char tellement fucking long qu’il dépasse sur le trottoir. Pi c’est tout, c’est comme ça. Eux y’ont un esti de gros char pi leur esti de gros char, y’é sur le trottoir, parce que why not? Toi pi tes enfants, z’avez rienque à faire le tour.

-À quelques mètres de cette même maison, y’a une maison en rénovation depuis plusieurs mois. Les gens qui font les travaux parkent fréquemment leur esti de gros pick-up sur le trottoir pi toi avec tes enfants (pi on est beaucoup, on s’souvient que c’est à 40 mètres de la garderie!), z’avez juste à marcher DANS LA RUE, avec votre poussette, en plein hiver, pi c’est toute. C’est juste le trottoir, après tout, c’est pas comme s’ils bloquaient la rue!

Je suis allé leur dire gentiment un jour que ce serait bien qu’ils bloquent pas le trottoir à côté d’une fucking garderie. Ils m’ont regardé dans les yeux et ils ont dit “C’est ça, bonne journée”. Heye mon kid va peut-être se faire écraser, mais au moins sont polis crisse!

-Et la cerise sur le sundae. En rentrant de la garderie l’autre jour, on était sur le trottoir d’une p’tite rue résidentielle. Y’é large le trottoir, c’est le fun, c’est notre tout petit mini domaine, le domaine du piéton. Ben non, y’a une voiture pressée qui a décidé qu’elle virait à droite à toute vitesse vers une ruelle, probablement pour gagner 35 secondes en allant pas jusqu’au bout du sens unique pour virer à droite. Jamais elle s’est dite qu’elle allait passer à travers un trottoir et que peut-être qu’il y aurait un plébien là.

J’ai été obligé de bondir, par réflexe et sur l’adrénaline, de prendre mon fils dans mes bras et de le tasser pour pas qu’il se fasse frapper. La voiture a fini par freiner à moitié sur le trottoir. Je saurai jamais ce qui se serait passé si j’avais pas attrapé Olivier, mais je peux pas vous dire avec certitude qu’il se serait pas fait frapper.

Sur le trottoir. Même pas en traversant la rue. Parce qu’un énervé avec un volant voulait sauver trente secondes.

Si j’étais prêt à saisir Olivier, c’est parce que je sais trop bien que du moment que je sors dehors, du moment que je suis SUR LE TROTTOIR devant chez moi, je suis dans les faits sur le domaine des voitures, parce que y’a une partie non négligeable des gens qui se rendent pas compte qu’ils ont une machine à tuer entre les mains.

Faque, oui, OK, mettons-en des dos d’ânes, pi mettons-en des arrêts pi des saillies de trottoir. Ça aide, j’imagine.

Mais si on veut vraiment que nos enfants et nos aînés arrêtent de se faire tuer, c’est la culture de l’automobile-reine qu’il faut changer. Faut que les gens qui conduisent arrêtent de sentir que l’entièreté du domaine public leur appartient de facto.

C’est pas facile, changer une culture, on va pas se mentir. Il faut travailler sur tous les fronts en même temps.

Il faut qu’à chaque fois qu’on a l’occasion, on refasse le design des espaces publics en donnant plus de place aux usages autres que la voiture.

Il faut des peines sévères pour les gens qui conduisent en fous et qu’on leur enlève leur permis, point. Faut envoyer le message que conduire c’est un privilège, et que c’est pas parce qu’on a érigé nos infrastructures entières autour de la voiture qu’on va se priver d’empêcher les fous de conduire.

Il faut de la sensibilisation et de la répression sur l’empiètement des voitures sur les espaces pour les autres usages, genre les voitures stationner dans les pistes cyclables. Et l’exemple doit partir d’en haut: on voit souvent des employé-es des municipalités ou d’autres organisations publiques stationnés n’importe où.

Et surtout, et c’est là qu’on est encore aujourd’hui, il faut commencer par accepter que le tout à l’automobile est un problème qu’il faut régler, et que d’énoncer ce fait n’est pas une attaque personnelle envers chaque automobiliste. Tant qu’on n’aura pas franchi cette étape là, on va continuer de gueuler dans le vide, et nos enfants vont continuer de se faire frapper.




Par Philippe St-Jacques